Née à Arcueil (94), la devise olympique “Citius, altius, fortius” a 130 ans. Tout savoir sur son origine. 4


Le « plus fort » c’est Didon

Par Philippe Lorette, journaliste, ancien rédacteur en chef d’ANC/Arcueil notre cité.

Révérend père Henri Didon (1840 – 1900), prieur du collège arcueillais Albert-le-Grand, inventeur de la devise olympique « Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort »).

La célèbre formule « Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort ») fut inventée le 7 mars 1891 à Arcueil au collège Albert-le-Grand par son directeur, le père Henri Didon.

Non, je n’y crois pas ! Une histoire de bonne bouffe et de très bon champagne ? À lire récemment (dans le magazine de L’Équipe du 27 février 2021) le récit alerte d’Isabelle Talès, la devise olympique « Citius, altius, fortius » (« Plus vite, plus haut, plus fort ») aurait été lancée par le linguiste Michel Bréal au soir du 23 juin 1894 au Palmarium du Jardin d’acclimatation à Paris pendant le banquet de clôture du Congrès athlétique international. « Au dessert », précise-t-elle. Et le baron Pierre de Coubertin d’en faire aussitôt son miel emblématique lors de ce symposium qui marque en fait la création du Comité international olympique, elle-même prémices des premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne qui se dérouleront à Athènes en Grèce du 6 au 15 avril 1896.

On est quelques-uns à adorer le champagne et même à en abuser, mais… Soyons justes chronologiquement, l’Histoire nous regarde ! Bréal, fichtre, ne fait que reprendre les trois mots prononcés à Arcueil (Val-de-Marne) le 7 mars 1891 par le père Didon.

Entrée du collège Albert-le-Grand, devenue aujourd’hui celle de la Caisse des dépôts et consignations, 16 rue Berthollet à Arcueil.

La devise « Citius, altius, fortius » est née en effet trois ans avant le congrès de Paris, au collège dominicain Albert-le-Grand, l’actuelle Caisse des dépôts et consignations, en haut de la rue Berthollet à Arcueil. Son auteur : Henri Louis Rémy Didon (1840 – 1900), révérend père, prieur, c’est-à-dire supérieur, de l’établissement arcueillais.

Lorsqu’il accède à cette charge en mars 1890, le père Henri Didon est déjà renommé pour ses prêches et ses ouvrages. Son crédit lui permet de mettre en pratique à Arcueil sa vision du « Mens sana in corpore sano » (« Un esprit sain dans un corps sain »)*. Des travaux (extension du parc, bassin de natation…) sont entrepris à Albert-le-Grand qui devient pour ainsi dire le premier « sport-étude » français.

La lutte plus importante que la victoire

Le 2 janvier 1891, Didon reçoit Pierre de Coubertin (1863 – 1937), jeune homme féru lui aussi d’éducation et de sport. Coubertin milite alors pour des rencontres entre des écoles religieuses et laïques. Avec Didon, il n’est pas déçu. Il est même invité à fonder, deux jours après l’entrevue, l’Association athlétique Albert-le-Grand. Le 7 mars 1891 ont lieu à Arcueil les premiers championnats de cette association.

« Le R.P. Didon était président d’honneur, M. de Coubertin, directeur des courses, et M. de Menthon, président de l’Association, remplissait les fonctions de starter, relate la revue Le Sport athlétique du 14 mars 1891. Le père Didon a d’abord remis aux membres de l’Association un drapeau blanc et noir avec l’écusson du collège brodé au centre, et dans une éloquente allocution il a souhaité que ce drapeau les conduise “souvent à la victoire, à la lutte toujours”. Il a dit qu’il leur donnait pour devise ces trois mots qui sont le fondement et la raison d’être des sports athlétiques : citius, altius, fortius,  “plus vite, plus haut, plus fort”. » Des mots qui eurent le don de galvaniser aussi Pierre de Coubertin.

Médaille des Jeux Olympiques d’hiver de 1948 à Saint-Moritz (Suisse).

L’historien du sport Pierre Lagrue clarifie : « Pour le père Didon, citius (“plus vite”) se rapporte à l’esprit, aux études ; altius (“plus haut”) a trait à l’élévation de l’âme, au chemin vers Dieu ; fortius (“plus fort”) est le domaine du corps, façonné par le sport. » Mais entre ce « plus fort » et la quête de la performance pure et dure, n’y aurait-il qu’une foulée ? « Non, c’est un “plus fort” intérieur, affirme André Leclercq, président du Comité français Pierre-de-Coubertin et président d’honneur de l’Académie nationale olympique française. Lorsque le père Henri Didon associe ces trois mots en 1891 à Arcueil il le fait dans une démarche éducative. Il ne s’agit évidemment pas d’une fin en soi. Je suis le plus fort, cela signifie : je suis le premier, j’ai gagné, j’ai été plus fort que toi, certes, mais “à la lutte”, comme l’exhortait Didon. C’est une force relative, une force éphémère, et non une force absolue. » Cheminer vers ses limites et tendre vers l’excellence ne veulent pas nécessairement dire être le premier, et il faut rapprocher la devise olympique de la célèbre phrase attribuée faussement ** au baron Pierre de Coubertin : « L’important n’est pas de gagner mais de participer. »

En complément :

Réunion annuelle de l’Association athlétique Albert-le-Grand. Photos extraites du livre “Le collège Albert-le-Grand. Les sports”.

* La citation « Mens sana in corpore sano » tire sa source de la dixième des seize satires de Juvénal (écrites entre 90 et 127 apr. J.-C.). Le sens donné par son auteur est en rapport avec la spiritualité antique : « Alors faut-il que les hommes ne fassent jamais de vœux ? … Ce qu’il faut alors implorer, c’est un esprit sain dans un corps sain. » (Juvénal, Satires, 10, 346-366, traduction Henri Clouard.) Juvénal soutient ainsi qu’il faut cesser d’implorer vainement les dieux, mais requérir de leur part la santé physique et mentale. (Source : Wikipedia.org)

** La citation « L’important n’est pas de gagner mais de participer » est apocryphe et inexacte. Pierre de Coubertin a dit, lors d’un toast de remerciement, à l’issue d’un dîner offert par le gouvernement britannique le 24 juillet 1908, au cours des IVe Jeux de l’ère moderne, à Londres : « Dimanche dernier, lors de la cérémonie organisée à Saint-Paul, en l’honneur des athlètes, l’évêque de Pennsylvanie l’a rappelé en termes heureux : “L’important, dans ces Olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part.” Retenons, Messieurs, cette forte parole, l’important dans la vie, ce n’est point le triomphe mais le combat ; l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu. »

Plaque commémorative devant la caisse des dépôts à Arcueil.
La Caisse des dépôts et consignations, 16 rue Berthollet à Arcueil, anciennement le collège Albert-le-Grand.

Autres liens :

Paris Jeux t’Aime : https://www.facebook.com/groups/13515149802502

Livre : Les Enfants d’Olympie, 1796-1896, par Alain Arvin-Bérod (éditions du Cerf)


A propos de Philippe Lorette

Né sous le signe des Gémeaux, aimant la belle ouvrage et les bons mots… Philippe Lorette - quarante ans de journalisme - vient de faire falloir ses droits à la retraite et donc de quitter la rédaction en chef du magazine municipal ANC/Arcueil notre cité. Ces derniers mois il a été « fort déçu par la perte de trop nombreux éléments constitutifs de la ligne éditoriale citoyenne historique d’ANC et par l’irruption de la folle écriture inclusive imposée aujourd’hui par le maire d’Arcueil ». Qu’à cela ne tienne, l’écriture demeure, mais le livre prend désormais le pas sur le journal. Après le succès de "La saison commençait" (Le Pas d’oiseau éditions, 2016), récompensé par le prix Louis Nucéra, les projets en cours ne manquent pas.

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